lundi 26 mars 2012

ELECTIONS PRESIDENTIELLES 2012, LE PEUPLE SENEGALAIS A TRANCHE...


          Il vient de subir un démenti cinglant, ce dicton africain qui veut « qu’aucun autre arbre ne pousse et ne grandisse sous le baobab. » Ce dicton bien adapté à l’époque de la monarchie où le roi ne connaît son successeur que d’outre-tombe et où tout prétendant trop pressé de prendre le pouvoir ne parvenait plus au trône, semble gravé dans le subconscient de certains chefs d’Etat africains. Par cet échec conclusif  dont il aurait pu se passer, le président Abdoulaye Wade aura appris, malgré lui, que les temps ont changé et  que personne ne saurait arrêter la roue de l’histoire. Il a toutefois le mérite d’avoir vite reconnu sa défaite en félicitant son rival.

L’histoire du président Wade et de son successeur  s’apparente bien à l’arbre qui voudrait pousser sous le baobab. Premier ministre tombé en disgrâce, il aura  franchi tous les obstacles dressés sur son chemin avant d’aboutir aux félicitations de celui qui aurait dû être son parrain et maintenant, son meilleur conseiller, tenant ainsi quelques ficelles du pouvoir pour la gestion de son héritage politique. Mais hélas ! L’aveuglément du pouvoir, la logique des courtisans  ne voyant pas plus loin que leurs intérêts immédiats en auront décidé autrement. Se croyant le seul capable de conduire les destins du Sénégal dans les circonstances actuelles, le président Wade aura la bonne surprise d’écouter un autre président tant il est vrai qu’il n’y a pas d’indispensable sur cette terre.

Le mérite de cette bonne nouvelle venant de l’Afrique revient naturellement au peuple sénégalais. Les meilleurs constitutionnalistes commis à la tâche de trouver les mécanismes pour sauter les verrous du fameux article limitant le nombre  de mandats à deux, les stratégies de communication visant à déstabiliser tous les candidats en face, les gigantesques moyens déployés dans la campagne électorale auront été impuissants face à la détermination d’un peuple désireux de  vivre le changement. Bravo à l’opposition qui a pu s’unir contre la candidature jugée par elle, anticonstitutionnelle du président sortant.

L’histoire politique du continent africain vient d’enregistrer une énième fois l’avertissement qu’il faut savoir quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent. Abdoulaye Wade passera la main, non à un dauphin, mais à un rival. C’est un signal fort pour tous les présidents ayant quelque velléité de sauter la limitation des mandats présidentiels, même si chaque peuple a son histoire.

Mais à y voir de près, l’onde de choc du printemps arabe a certainement joué dans la détermination des jeunes qui ont beaucoup contribué à la victoire de Macky Sall. En réalité, ce n’est pas une vision de la société qui a triomphé sur l’autre puisque les deux candidats du second tour sont tous des libéraux, à des nuances près. Mais  les jeunes africains sont de plus en plus hostiles au pouvoir éternel et à l’immobilisme politique ;  c’est une donnée qu’il faut désormais prendre en compte. La situation socio-économique aggravée par le fort taux de  chômage  des jeunes n’est pas de nature à favoriser l’acceptation du statu quo. Les violences et les morts entre 6 et 15 morts ont creusé le désir du changement. Enfin, la rhétorique arrogante du pouvoir en place prédisant le « K.O » dès le premier tour, n’a fait qu’exaspérer la détermination des opposants et de la société civile créant la psychose de la fraude massive comme dans d’autres pays. La réaction a été la vigilance extrême que l’on a pu observer lors des deux scrutins dont l’exemplarité montre que les élections calamiteuses ne sont pas une fatalité en Afrique.  

Dans tous les cas, le peuple sénégalais aura envoyé au monde un message démocratique qui honore tous les africains, après la triste nouvelle du Mali qui nous a rappelé ces jours-ci un passé qu’on croyait révolu, celui des « juntes militaires » et de leur rhétorique classique « … suspendu jusqu’à nouvel ordre… »

Mais le plus dur va peut-être commencer maintenant pour Macky Sall ; en effet, en politique, il plus facile de s’unir contre que de s’unir pour. Le grand défi est de répondre aux préoccupations des sénégalais en faisant chanter à défaut de l’unisson,  tout au moins  de façon harmonieuse le choeur de  tous les artisans de la présente victoire. Ce ne sera pas une mince affaire.
P. Eric Oloudé OKPEITCHA


samedi 24 mars 2012

PAR SA CROIX, LA VIE ET LA GLOIRE SURABONDENT...!


CINQUIÈME DIMANCHE DE CARÊME (B)

COMMENTAIRE D’ENSEMBLE DES TEXTES
                                      (Jr 31, 31-34 / He 5,7-9 /Jn 12,20-33)

L’alliance nouvelle annoncée par Jérémie, se réalise dans le mystère de la passion et de la mort du Christ. En sa croix, l’histoire humaine aborde l’étape significative dans son cheminement vers l’accomplissement glorieux en Dieu.

1.                 La croix, source de consolation et de purification !

Le projet de Dieu pour l’homme qu’Il a créé et le peuple qu’Il s’est choisi, est un projet de bonheur et de salut. La créature peine cependant à entrer dans la profondeur de cet amour que YHWH ne cesse de lui renouveler. Dieu lui renouvelle sa confiance et sa foi malgré ses endurcissements de cœur et ses péchés, dont ceux les plus graves contre l’unité du peuple malheureusement divisé en deux royaumes (royaume d’Israël et royaume de Juda). Et « voici venir des jours » où des désastres du passé, Dieu veut reconstruire une vie nouvelle. Il est prêt à une nouvelle aventure cette fois-ci avec sa loi non plus écrite sur une tablette comme à Sinaï mais dans le cœur de l’homme, une loi toute intérieure. Dieu descend dans le cœur centre important de décision de l’homme. Cette alliance est une alliance universelle de transformation, non de condamnation, une alliance de connaissance du Seigneur c’est-à-dire d’une profonde communion et relation avec Dieu qui change l’existence, la purifie dans sa miséricorde et l’élève. Cette prophétie annonce le sacrifice du Christ, nouvelle alliance en son sang, versé pour nous (Lc 22,20).



2.                 La croix, source de toute gloire humaine !

Dans l’évangile, des grecs sympathisants du monothéisme juif sont aussi montés à Jérusalem pour la Pâque. Ils manifestent leur désir de «voir Jésus ». Philippe le dit à André et tous deux vont le dire au Maître. Ce désir et ce geste mettent en évidence la mission universelle du salut apporté par Christ et dont les apôtres sont les ministres. Chose étrange ! Au lieu de leur répondre directement, Jésus définit l’importance et l’efficacité du mystère de sa passion et de sa mort sur la croix, lieu de sa glorification et épiphanie de l’union d’amour entre le Père et Lui. Jésus est Dieu uni dans la même gloire et honneur que le Père. Cette gloire naît du sacrifice sur la croix et resplendit le salut sur les croyants. Le mode de fructifier et de se multiplier du grain tombé en terre est qu’il meure. Cette mort est porteuse de vie et de gloire en abondance comme celle du Christ. Les couples verbaux « aimer-perdre, haïr-conserver » sont un renversement significatif : les convictions de sécurité et d’autoconservation sur lesquelles se fondent la vie de tous les jours peuvent conduire l’existence humaine à de pures illusions. Pour tous ceux qui vivent en Christ, la puissance de son amour sur la croix se déploie et nous libère de nous-mêmes, du monde de nos égarements et nous fait vivre de sa vie divine. L’heure du Christ sonne l’heure de notre glorification quand nous acceptons de faire nôtre son style de vie d’oblation allant à la rencontre de nos sœurs et frères ouvrant leurs yeux sur le bonheur qu’il y a à être sous la croix du Christ, dans les mains de Dieu. Son sacrifice est une solidarisation avec toutes souffrances ou misères humaines pour élever l’humaine nature y semant les germes d’éternité. L’intronisation ou l’exaltation du Christ sur la croix est signe de la faillite de l’empire de Satan partout où il tient l’homme esclave des ténèbres et de la peur. Jésus le Christ n’est pas un super homme ou quelque activiste martyr prêt à donner sa vie pour un idéal humanitaire. Il est Dieu qui prit notre nature humaine en vue de notre vie et salut éternels.
3.                 Dans l’obéissance au mystère de la croix !

La prière angoissée du Christ devant l’épreuve de la souffrance et de la mort confirme son humanité (vrai Homme et vrai Dieu). Il n’est pas seulement triste devant la mort et le mal. Son désir le plus ardent est de le combattre de toutes ses forces. Il choisit, pour y arriver, la « soumission et l’obéissance », faisant passer la volonté de Dieu le Père avant ses propres désirs. Cette souffrance patiemment affrontée tout tendu vers la volonté du Père, détruit complètement le mal et conquit la victoire complète sur la mort par la gloire de la résurrection. « Voir le christ », c’est aller à la quête de la vérité à la source de sa croix et apprendre de Lui, l’obéissance qui seule est victorieuse du mal.
P. Chelbin Alfred Wanyinou HONVO




vendredi 16 mars 2012

LE JUGEMENT DE DIEU EST MISERICORDE...


QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME (B)
COMMENTAIRE D’ENSEMBLE DES TEXTES
(2Ch 36,14-16.19-23 / Ep 2,4-10 /Jn 3,14-21)


Par sa croix, Christ fait resplendir en nous et sur le monde, l’amour et la miséricorde de Dieu présent et agissant plus fort que le mal. Par la foi, nous entrons en communion avec Lui pour renaître de l’Esprit et jouir du don gratuit du salut fruit de sa miséricorde.

Photo. Paorical

1.     Dieu fidèle en son Amour !

La chute politico-culturelle et religieuse de Jérusalem avec pour conséquences la destruction du temple et le drame de la déportation à Babylone sont présentés comme conséquences des nombreux péchés d’Israël. Le peuple est frappé en plein cœur de sa vie et de son âme car, sa terre, son temple et sa loi, lui sont arrachés. Il est humilié à cause de ses péchés. Il n’a plus ni chef, ni prophète, ni prince, plus d'holocauste, de sacrifice, d'oblation, plus d'offrande de l'encens,…plus de lieu pour offrir les prémices et trouver grâce auprès du Seigneur (Dan 3,37-38). Contre toute attente, à la misère et à la souffrance du peuple, Dieu répond par la fidélité indéfectible de son amour libérateur « éveillant l’esprit » de Cyrus roi des Perses, roi païen qui fait monter Israël à Jérusalem et reconstruire le temple. Cyrus est signe et symbole que la volonté intime de Dieu n’est pas de juger le monde mais que «..le monde soit sauvé » (Jn 3,17). C’est le mystère d’amour divin incompréhensible à l’homme que l’évangile de ce dimanche porte à son sommet par l’image du Christ élevé sur la croix.

2.     Croix du Christ, Lumière et vie nouvelle  !

Dieu s’est servi du roi païen pour racheter son peuple. Il se sert maintenant de la croix, passion et mort de son Fils pour notre salut. L’ouverture de l’homme ou du croyant à ce mystère de la croix, fait vivre et renaître. L’avènement du Règne de Dieu en nos vies exige ce nouveau commencement, cette vie nouvelle dans la puissance créatrice de Dieu reçue au baptême. Dieu se montre, Dieu qui peut faire jaillir tout bien du mal et de la souffrance. Comme le serpent que Moise éleva au désert, ainsi fallait-il que Jésus soit élevé sur la croix (Jn 3,14). Ceci est une nécessité divine (dei = nécessité) où la croix lieu de souffrance est en même temps lieu de gloire à laquelle nous sommes invités à nous unir. Christ lui-même indique à Nicodème la nécessité de communier à sa passion et à sa mort pour renaitre de l’Esprit. Dieu, en son Fils, accepte l’humiliation de la croix pour y faire descendre son amour et libérer l’homme des ténèbres de l’incapacité d’aimer ou quelquefois du refus d’amour … L’œuvre opérée par Christ sur la croix, est une œuvre  de transformation de l’humanité et de notre existence qui n’est vraie et digne, que dans l’acceptation du don qui vient de l’autre son prochain et du Tout-Autre, Dieu. Notre participation unitive à la puissance de la croix est effort d’accueil et d’ouverture au don du salut. Ainsi dans le mystère de sa passion et résurrection, tous les détails de notre vie, nos actions, nos choix sont assumés et transfigurés en Christ pour germer d’éternité. Celui qui se met hors de la grâce de la croix vivra dans les ténèbres. Dans l’obscurité prolifère le mal. Christ Lui, est Lumière du monde qui nous fait voir et prendre conscience du péché, du mal en nous pour nous aider à le chasser.
 3.     Croix du Christ source vive de miséricorde !
Les vicissitudes d’Israël comme celles du nouvel Israël d’aujourd’hui sont la preuve que nos péchés ou le mal dans le monde n’entament ou n’usent pas la grâce divine de notre bonheur. En Christ, Dieu continue de nous faire ce don de sa Lumière qui pénètre tous coins insoupçonnés de ténèbres en nous et dans le monde. Il y fait resplendir la Lumière. Paul a raison de nous porter à comprendre qu’à l’origine du projet divin se trouve son amour, sa miséricorde qui est salut. Le signe de ce salut est Christ élevé sur la croix qui attire tous à Lui. N’ayons pas peur de lui remettre nos péchés… Son jugement est Amour et miséricorde.


P. Chelbin Alfred Wanyinou HONVO


lundi 12 mars 2012

ADOLESCENT, QUI ES-TU ?

            
                Cher Sonagnon
         Chose promise, chose due! Comme je te l'avais promis, je reviens sur ta question relative aux types d'identités dans l'adolescence. Il est fondamental d'en avoir une idée claire et nette.  Mon cher Neveu, pour satisfaire ta curiosité, je te propose les résultats des travaux d'un expert, Berger (2000, p.342) sur la question. Lesdits résultats sont synthétisés dans le tableau ci-dessous.

Types d'identités
Identité sur-déterminée
Identité 
diffuse 
ou 
confuse
Identité 
négative;
Identité en moratoire
Identité 
en voie de réalisation 
ou identité réalisée
Indications:
en face les sens des identités; 
ci-dessous, quelques autres points de distinction
l'individu accepte valeurs et idéaux établis par ses parents, souvent sans remise en cause
L'individu manque d'énergie à rechercher son identité
id. ngtive: refus des
rôles suggérés par les parents;
id. mtoire:
arrête la formation de son identité,
essaie divers compor-tements
sans choix définitifs
l'adolescent sait ou est entrain de savoir qui il est sur les plans sexuel, vocationnel et idéologique
Anxiété
Réprimée
Modérée
Forte
Modérée
Attitude
 à l'égard
des
parents
Amour et respect
Repli sur soi
Tentatives de distanciation
Amour et sollicitude
Estime
de soi
Faible (à la merci des autres)
Faible
Forte
Forte
Identifi-cation ethnique
Forte
Moyenne
Moyenne
Forte
Préjugés
Forts
Moyens
Moyens
Faibles
Niveau de jugement
moral
Pré-conventionnel (agit pour éviter les punitions et obtenir des récompenses) ou conventionnel (respect des lois et normes sociales)
Pré-
conven-tionnel ou conven-tionnel
Conven-tionnel
 ou post-conven-tionnel (agir motivé par le bien commun ou des principes universels
qui peuvent primer les normes de
la société
ou les désirs de l'individu)
Conven-tionnel ou post-
conven-tionnel
Dépendance
Très forte
Forte
Aucune
Aucune
Processus cognitifs
Simplifie les questions complexes; opinions et décisions influencées par
les autres et par les normes sociales
Complique les questions simples; choix personnels
et idéologiques influencés
par les autres
Réflexion; décisions reportées à plus tard; indépendance par rapport aux opinions des autres et aux normes sociales
Réflexion; prise de décision suite
à la
collecte d'infor-mation
et à la consu-ltation
Satisfaction
tirée
des études
Élevée
Variable
Très faible (chan-
gement probable d'orientation)
Notes élevées
Relations inter-
personnelles
Stéréo-
typées
Stéréo-typées ou inexistantes
Intimes
Intimes
Source : Adapté d'une recherche présentée in Berzonsky, 1989; Kroger, 1993; Marcia, 1980; Streimatter, 1989, cit. in Berger, 2000, 342


                Mon cher neveu, il y a quelques remarques à observer par rapport à ce tableau:

1- Les informations contenues dans la grille ne constituent que des résultats de recherches, donc sont des données qui peuvent varier selon des contextes: ne pas en faire un usage rigide et fanatique. Toutefois, elles permettent une idée panoramique des identités.

2- Ne pas faire de cette grille une fenêtre d'optique pour observer les autres, les figer dans des clichés ou les étiqueter. Telle n'est pas la finalité de la Psychologie: le souci des psychologues est de comprendre afin d'aider.

3- Ne pas partir de cette grille pour tomber dans une vision négative de soi-même (dans le cas d'une identité négative par exemple). L'être humain, à la fois complexe et délicat, échappe à des clichés figés une fois pour toutes. Le mieux est de le voir toujours dans un processus dynamique croissance. D'ailleurs, comme je l'ai noté dans la lettre 5 en m'appuyant sur Waterman (1985) de nombreux adolescents développent d'abord une identité surdéterminée ou une identité diffuse, puis une identité en moratoire avant d'atteindre une identité réalisée. Courage donc à chacun dans la construction de son identité. Cher Sonagnon, si ce tableau avec ces informations t'apportent un peu de satisfaction, je tournerai ne serait-ce que provisoirement la page des identités pour aborder dans un bref délai la question des crises et des conflits entre adolescents et parents. A très bientôt donc.

Ton Oncle,
Père Coffi Roger ANOUMOU
Rome

1) Berger, Kathleen S. (2000), Psychologie du développement, Traduit par Marie- Claude Désorcy, Modulo Éditeur, Mont-Royal (Québec), Canada.

 2) Berzonsky, Michael D. (1989). Identity style: Conceptualization and measurement. Journal of adolescent Research, 4,268-282.

3) Kroger, Jane. (1993). Ego identity: An overview. In J. Kroger (Ed.), Discussions on ego identity. Hillsdale, NJ: Erlbaum.

4) Marcia, James E. (1980). Identity in adolescence. In J. Adelson (Ed.), Handbook of adolescent psychology. New York: Wiley.

5) Erikson, Erik H. (1968). Identity, youth, and crisis. New York: Norton.

6) Erikson, Erik H. (1975), Life history and the historical moment, Norton, New York.

7) Streitmatter, Janice L. (1989). Identity status development and cognitive prejudice in early adolescents. Journal of Early Adolescence, 9, 142-152.

8) Waterman, Alan S. (1985), Identity in the context of adolescent psychology. In Alan S. Waterman (Ed.), Identity in adolescence: Processes and contents: Vol 30. New directions in child development, Jossey Bass, San Francisco. 





"L' AME AFRICAINE ETAIT EPRISE DE RELIGION "

ENTRETIEN AVEC LA BIENHEUREUSE  ANNE-MARIE JAVOUHEY 

            Les femmes  ont été  à l’honneur la semaine dernière dans le cadre de la journée mondiale du 8 mars. Nous en avons profité pour échanger avec l'une d'elles,  Anne-Marie JAVOUHEY qui a bien  voulu témoigner  de  sa vie de femme et de  fille du Père, désireuse de faire uniquement et partout sa Sainte Volonté.  Elle a passé quelques années de sa vie à Dagana, petite ville située au bord du fleuve Sénégal près de la frontière mauritanienne, il y a 190 ans.  Fondatrice  de la Congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui fêtera ses 205 ans le 12 mai prochain, elle a été  béatifiée à Rome le 15 octobre 1950. Elle nous parle de sa vocation survenue à l'âge de 17ans, de ses oeuvres dans cette région du Sénégal.
S. T : Anne-Marie JAVOUHEY, bonjour.

Anne-Marie JAVOUHEY : Bonjour Sandra et à tous les amis lecteurs.

S. T : Alors Anne-Marie, entrons dans le vif du sujet,  comment le Seigneur vous a-t-il  fait connaître votre mission si particulière ?

Anne-Marie JAVOUHEY : Lorsque je me suis sentie appelée par le Seigneur, j’ai compris que sa volonté était que je choisisse la vie religieuse pour instruire les pauvres et élever les orphelins. J’ai tout de suite eu, d’une part une vie de prière intense en compagnie de mes trois sœurs dans l’oratoire que notre père nous avait construit. D’autre part, je parcourais les rue de Chamblanc, notre village, en invitant, tambour battant, les enfants, filles ou garçons, à venir appendre à lire.

Quelle a été la réaction de votre père ? 
Au début, cela le mettait en colère car il préférait me voir travailler les champs plutôt que de faire la classe à des enfants pauvres. D’autant plus que j’entraînais mes trois sœurs dans cette aventure. Mais, je m’étais donnée à Dieu sans partage. Je devais donc faire sa volonté en toutes choses, sans tenir compte de mes inclinations. Les refus de mon cher père ne découragèrent pas[1]. Il aurait fallu m’arracher le cœur pour m’ôter le désir de la vie religieuse. Tous mes désirs étaient d’accomplir la  volonté de mon père, mais il avait trop de religion pour vouloir que ce soit au préjudice de celle de Dieu. Dieu m’avait fait la grâce de renoncer au monde et j’étais prête à souffrir plutôt tous les tourments que la malice du monde aurait pu inventer que d’y rentrer jamais[2].

Et par la grâce de Dieu, votre curé a fini par convaincre ce cher Balthazar qui avait tant d’amour pour vous.
Tout à fait. Avec son accord, à l’âge de 21 ans, je suis partie à Besançon pour rejoindre une petite communauté. Au début, je me sentais au Paradis, puis ce fut le grand doute. Je ne me sentais pas à ma place. J’étais envahie par l’angoisse, je n’y voyais plus rien et je suppliais le Seigneur de me dire ce qu’Il voulait de moi. J’étais prête à tout pour Lui.

Et comment vous a-t-Il répondu ?
Quelques jours plus tard, à mon réveil, je crus voir autour de moi beaucoup de noirs et il me sembla entendre la  voix de Sainte Thérèse d’Avila qui me disait : « Ce sont les enfants que Dieu te donne. Je protégerai la communauté que tu vas fonder ».

Mais chose paradoxale, à l’époque, vous n’aviez jamais vu  encore d'africains.
Non. Et, je n’en avais même jamais entendu parler.

Qu’avez-vous fait ensuite ?
J’ai quitté la communauté de Besançon. Quelques temps après, à l’âge de 23 ans, je suis entrée dans un monastère de trappistines en Suisse. J’y ai effectué le noviciat, mais je ne pouvais m’empêcher de penser aux africains et, là non plus, je ne me sentais pas à ma place. Sur les conseils de mon directeur spirituel, j’ai quitté le monastère pour que le projet de Dieu s’accomplisse dans ma vie.

Forte de vos expériences de vie religieuse, vous avez continué à marcher sur la route de la  Sainteté que le Seigneur avait tracée pour vous. Vous avez fondé, avec vos sœurs et vos compagnes la communauté des « filles de Saint-Joseph » qui est ensuite devenue la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Et vous vous êtes efforcée d’accomplir votre mission auprès des  pauvres et des orphelins en France en attendant sagement que le Seigneur décide de vous envoyer, enfin, annoncer l’Evangile aux extrémités de la Terre. Et un jour ce fut l’éclosion d’une rose à mille pétales ! Les autorités  françaises ont vu en vous un atout qui leur aurait permis de réorganiser la présence française dans les colonies.
Effectivement, je compris qu’enfin, mon vieux rêve s’accomplissait. Certes, la démarche des autorités françaises était toute politique, mais je savais que notre congrégation se consacrerait au bien physique et spirituel des populations. Je voulais leur annoncer l’Evangile.

Et vous vouliez tellement le faire que 5 ans après les premières missions de la Congrégation, vous n’avez pas pu résister. Vous avez embarqué en cachette avec les religieuses qui partaient pour le Sénégal.
C’est exact ! C’était le 1er février 1822. Avec la Restauration, la France avait récupéré cette possession africaine, peu développée et en état d’abandon. En janvier 1819, j’avais envoyé une communauté de 7 religieuses dont j’avais confié la responsabilité à ma sœur Claudine (Mère Rosalie). L’installation fut très dure. Il s’agissait de faire fonctionner un hôpital qu’elles ont trouvé dans un état lamentable et qui plus est, dans une zone où il n’y avait plus de prêtre. Les sœurs se sentaient spirituellement abandonnées. Cette nouvelle fut pour moi une grande douleur et je pris la décision de venir juger sur place les initiatives à prendre. Mère Rosalie est donc rentrée en France et je l’ai remplacée.

Et vous n’aviez pas peur d’un si long voyage en bateau qui a duré des mois ?
Les dangers de la mer ne nous effrayaient point. L’espoir de faire le bien, de gagner quelques âmes à la religion, de soulager les pauvres malades, soutenait notre courage au milieu des plus grands périls.

Quelle a été votre impression en arrivant dans ce pays ?
Je fus éblouie !!! Je remerciais le bon Dieu de nous avoir conduites en Afrique. Nous pouvions y faire du bien, et beaucoup, tant pour l’instruction de la jeunesse que pour le soin des malades.  J’éprouvais un besoin extrême de travailler au bonheur des africains. Jusque là, on avait pris si peu de moyens pour atteindre ce noble but. Je voulais faire avec tant de choses[3] !!! Nous avons commencé par réorganiser les hôpitaux, le gouvernement nous a aidées et nous avons même pu faire venir un prêtre.

Justement,  le gouvernement avait grand espoir en votre œuvre. Il vous a même confié un domaine agricole, ici à Dagana, en vous demandant d’en faire un paradis !
Etant d’une famille de paysans, j’ai tout de suite pensé que l’Afrique possédait une vocation agricole. Dès l’année 1823, ici a Dagana, nous nous sommes donc attachées à développer aussi bien l’étude des langues et de  l’arithmétique que l’acquisition de connaissances permettant de mettre le pays en valeur. Nous avons cherché à mettre en valeur les terres par des cultures diverses et l’élevage.
Mais dites-nous Anne-Marie,  vous n’avez vécu que deux ans et demi en Afrique et malgré tout le travail que vous aviez au  Sénégal, vous avez trouvé le temps d’aller porter assistance à d’autres peuples. Ainsi, vous vous êtes rendue en Gambie où vous avez réorganisé un hôpital. Vous y avez dû lutter contre le racisme, la misère et les préjugés. Et vous avez même été appelée par le gouvernement anglais pour réhabiliter un hôpital en Sierra-Léone.

En effet, cet hôpital avait vraiment besoin d’être réorganisé. J’ai trouvé là de malheureux français dans le plus triste état ; ils étaient parmi les malades de toutes les nations. Ils me regardaient comme un ange qui leur avait sauvé la vie[4].

Et ange, vous l’étiez !!! Anne-Marie, parlons maintenant d’un autre ange. Durant ce séjour, vous avez pu découvrir ce peuple et vous l’avez surtout aimé. Vous avez aimé particulièrement Florence votre jeune esclave qui était plutôt une fille pour vous. C’est même elle qui vous a soignée lorsque vous-même êtes tombée malade. Racontez-nous.

C’était une esclave peulhe née en Sénégambie. Elle avait servi quelques années dans la famille du commissaire français de la marine. Mère Rosalie l’avait achetée et me l’avait confiée. Elle avait une si jolie frimousse ! Etre esclave était vraiment la pire des misères.  Je lui ai promis qu’avec moi elle ne serait jamais malheureuse. Je voulais lui apprendre à lire et faire d’elle une personne libre et responsable. Elle m’a beaucoup aidé dans ma mission, notamment pour la réorganisation de l’hôpital de Sierra-Léone. Et elle m’a même sauvée la vie en me soignant par la méthode traditionnelle. Lorsque je suis rentrée en France, je l’ai emmenée avec moi pour prouver aux français que les africains étaient des personnes de valeur. Dans les ministères où nous nous sommes rendues, on a constaté que Florence, sortie depuis de ans seulement de l’esclavage, était une enfant accomplie qui pouvait en remontrer à bien des blancs ! Elle avait des dons intellectuels et artistiques évidents.

Revenons au Sénégal. Vous vouliez évangéliser ce peuple, mais vous n’avez pas tenté d’imposer la religion.
J’étais persuadée que l’âme africaine était éprise de religion et je voulais évangéliser le Sénégal. En devenant chrétien, ce pays aurait découvert les vertus morales qui lui auraient permis de prendre en charge son destin. Mais, je ne voulais pas que ce peuple se convertisse par convenance. D’ailleurs, quand certains d’entre eux ont demandé le baptême, et même Florence, j’ai voulu attendre que leur foi soit réellement fondée pour les accompagner dans cette démarche. J’ai même pensé faire venir mon frère Pierre et sa femme, pour montrer aux noirs ce qu’était un foyer croyant et nous aurions formé une vraie communauté chrétienne.

Et comment avez-vous procédé ensuite ?
Le 31 octobre 1824, à peine rentrée de mon séjour sur ce beau continent, je fis part au Gouvernement de ma résolution à consacrer mon existence au soin d’un peuple abusé et malheureux. Ce qui aurait dû lui faire du bien, la science et l’instruction, lui avait fait le plus grand mal en le corrompant par des vices plus dangereux que sa profonde ignorance. Il n’appartenait qu’à la religion de donner à ce peuple des principes, des connaissances solides et sans danger, parce que ses lois, ses dogmes réforment non seulement les vices grossiers et extérieurs, mais changent le cœur et détruisent le mal dans sa racine[5].

L’Afrique avait besoin de missionnaires intrépides et il fallait former des prêtres indigènes.

Vous n’avez pas perdu de temps. Vous avez fondé le premier séminaire africain en France.

En effet, il fallait former de jeunes africains à devenir chrétiens et même prêtres et religieuses. Les professeurs n’étant pas disposés à se rendre en Afrique, nous avons pris la décision de faire venir ces jeunes en France malgré les craintes du gouverneur quant à un éventuel refus de rentrer chez eux après leur formation. Dès 1825, nous avons fait venir à Bailleul 18 garçons et 13 filles.

Notre petit séminaire faisait le bonheur et l’admiration de tous les sages, en même temps que l’orgueil de leur pays. Nous tâchions de leur inspirer le zèle de faire connaître la vraie religion à leurs compatriotes[6] !

Et vous y êtes arrivées !!!

Oui !!! 15 ans plus tard, nous avons eu la joie de célébrer l’ordination sacerdotale de 3 d’entre eux. Ce furent les premiers prêtres sénégalais !!!

Anne-Marie, notre entretien touche à sa fin. Vous avez donné au Sénégal ses premiers prêtres et aujourd’hui nous constatons que les prêtres d’Afrique sont les nouveaux évangélisateurs de l’Europe. Ce sont les missionnaires de notre temps. Quel est votre espérance pour le monde?

A vrai dire, je crois que ma mission n’est pas terminée. J’ai passé ma vie sur terre à soulager et à rendre libres des esclaves. Et encore aujourd’hui, dans le Ciel, j’intercède auprès du Seigneur pour que les esclaves de ce temps soient libérés et connaissent la véritable liberté qui n’est rien d’autre que de faire la Sainte Volonté de Dieu.

Et bien Anne-Marie, c’est sur ces mots pleins d’amour que nous nous quittons. Et c’est avec joie que nous vous retrouverons bientôt pour mieux découvrir le secret de votre de sainteté. Nous offrons aujourd’hui à nos blogueurs la prière demandant votre canonisation en espérant vous appeler très vite Sainte Anne-Marie JAVOUHEY. Merci et à bientôt.

Merci à vous Sandra et merci à tous les lecteurs.


Prière pour demander la canonisation de la Bienheureuse Anne-Marie JAVOUHEY :

Seigneur, notre Dieu,

Tu as donné à la Bienheureuse Anne-Marie de se consacrer en tout à faire Ta Sainte Volonté, et de se tenir attentive à Tes appels en la personne des plus pauvres de ses frères.

Fais que, dans l’Eglise de notre temps, nous poursuivions avec élan l’œuvre que Tu lui as confiée.

A son intercession, exauce les prières que nous t’adressons : (intention de prière)

Dans Ta bonté, accorde-nous la grâce de sa canonisation pour Ta gloire et la venue de Ton Règne d’amour, de justice et de paix.

AMEN

(Imprimatur : Archevêché de Paris, 26 septembre 1988)


Sources :

Les ouvrages cités ci-dessous ont été fournis par la communauté des Sœurs de Saint Joseph de Cluny de Rome.

-          Découvrir Anne-Marie JAVOUHEY et les Sœurs de Saint Joseph de Cluny.

-          Une grande missionnaire Anne-Marie JAVOUHEY.

-          Anne-Marie JAVOUHEY et le journal d’une femme, apôtre des terres lointaines.

Site internet de la Congrégation des Sœurs de Saint Joseph de Cluny : sjosephcluny-France.cef.fr   

Pour en savoir plus sur Anne-Marie JAVOUHEY :

-          Correspondances d’Anne-Marie JAVOUHEY (4 volumes) – Editions du Cerf.

-          Anne-Marie JAVOUHEY – Agnès RICHOMME – Editions Fleurus coll. Belles histoires, belles vies.








[1] Lettre N°1


[2] Lettre N°2


[3] Lettre N°46


[4] Lettre N°63


[5] Lettre N°75


[6] Lettre N°101