Un groupe d'adolescents attendant le Pape Bénoit XVI à Cotonou, le 19.11.2011.
Mon cher neveu,
De ce que je t’avais un peu dit sur le contenu de la psychologie du
développement, tu souhaites que je t’explique davantage la question du « Qui
suis-je ? » pour un adolescent comme toi. Mon cher Sonagnon, je t’avoue que tu
poses là une question de grande portée. Je ne voudrais pas t’entraîner sur le
sentier rocailleux des grandes théories psycho-scientifiques, je m’efforcerai
de te trouver un langage adapté, toutefois il te faudra quand même un peu
d’attention pour suivre et comprendre.
« Qui suis-je ? » est une question importante pour tout individu à certains
moments de la vie. Pour un adolescent, « qui suis-je ? » signifie le devoir de
construire son identité, mais attention ! ce n’est pas toujours une simple
affaire !
Les crises, phénomènes liés à toute croissance
Avant tout, quand nous parlons d’adolescence, dans quelle tranche d’âge
nous situons-nous ? Selon les auteurs, il existe différentes considérations,
mais convenons, en Psychologie de l’éducation, avec Erickson et Berger, que
l’adolescence globalement se situe dans la tranche d’âge comprise entre 10 et
20 ans (Berger, 2000, p. 283). Cette tranche d’âge ne doit pas être considérée
de manière fermée et rigide parce que les phénomènes de l’adolescence parfois
s’observent même au-delà des 20 ans. La période de l’adolescence est
caractérisée par les changements biologiques liés à la puberté et aussi souvent
par des crises : le petit garçon ou la petite fille qui, hier, voulait être
comme papa ou maman qu’il prenait comme les meilleurs modèles du monde, devient
maintenant un adolescent qui commence à tout remettre en cause. Une sorte de
changement s’est opéré dans le jeune. La révolte, l’entrée en rébellion contre
les parents et les conflits avec eux interviennent souvent en ce moment. Je
reviendrai dans une autre lettre sur ce rapport conflictuel de l’adolescent
avec ses parents, mais ce qui est fondamental tant pour le jeune que pour les
parents est de ne ni dramatiser à outrance cette situation, ni désespérer du
jeune comme d’un individu irrécupérable. Il faut considérer les crises comme
des phénomènes normaux dans le processus de toute croissance. Désormais donc,
l’adolescent s'éloigne de ses parents et préfère plutôt fréquenter le groupe
des pairs ou amis d’âge (Berger, 2000, p. 339); pour lui, c’est le bon cadre de
référence pour se mesurer aux autres, connaître ses compétences ainsi que ses futurs engagements dans la société
(Erikson, 1975). Ce qui préoccupe désormais l’adolescent, c’est le sens de sa
vie et son identité où l’image corporelle revêt une grande importance, surtout
pour la fille qui, parfois, passe des heures devant le miroir.
Cher Sonagnon, le « Qui suis-je ? » doit se monnayer sous forme d’autres
questions : Quel est mon âge et qu’est-ce que cela implique pour moi ? Suis-je
un garçon ou une fille ? Quelles sont mes compétences et résultats scolaires ?,
qu’est-ce que j’aime faire, quels sont mes talents, quelles sont mes
inclinations amoureuses, quelle est ma conduite morale, quel est le sens de ma
vie ? etc… Trouver des réponses sincères à ces questions et réaliser son
identité, voilà deux exigences que l’adolescent doit satisfaire pour devenir
adulte). Nous pouvons ici nous permettre un véritable rapprochement avec
l’initiation dans la tradition africaine qui a lieu pour le ou la jeune vers l’âge
de 16 ans et qui marque son passage à
l’âge adulte (Moumouni, 1998, 33).
Les multiples identités possibles
Sonagnon, comme tu le vois, il s’agit d’un processus psychosocial délicat
et parfois perturbateur pour l’adolescent lui-même, mais il vaut mieux être
informé pour être tranquillisé. Le processus peut varier d’un individu à un
autre et parfois durer plusieurs années. De l’étude des chercheurs, certains
jeunes n’entrent pas forcément en rébellion contre les parents et les figures
d’identification de leur enfance. D’ailleurs, dans une société traditionnelle,
on remarque que la formation de l'identité se déroule relativement sans heurts.
Une adolescence sans remise en cause tapageuse n’est donc pas une anomalie ;
pour les chercheurs, un jeune qui intègre dans le calme et le consensus les
valeurs précédemment reçues a simplement une
identité surdéterminée. Il existe d’autres types d’identité comme l’identité réalisée, l’identité négative,
l’identité en moratoire et l’identité confuse (Berger, 2000, p. 340). Ce
dernier type, selon les chercheurs, est l’identité des adolescents qui ne
consacrent pas d'énergie à la recherche de leur individualité. Ces jeunes ont
parfois de difficulté à faire leurs travaux scolaires et à réfléchir à leur
avenir : ils n'ont pas encore une idée claire de ce qu'ils sont et de ce qu'ils
veulent devenir (Waterman, 1985). Il est vrai que de nombreux adolescents
traversent diverses périodes, développant d'abord une identité surdéterminée ou
une identité diffuse, puis une identité en moratoire avant d'atteindre une
identité réalisée. Mais mon cher neveu, le « qui suis-je » s’identifie au
devoir du « connais-toi, toi-même ». Sortir avec les amis, se divertir, aller
au bal, jouer au football etc., sont légitimes, mais ne doivent pas te faire
oublier ce devoir vital de construction de ta personnalité et de ton identité :
alors Sonagnon, quelle est ton identité ? quel type de jeune es-tu ?
Ton oncle Coffi
Roger Anoumou
Berger, Kathleen S.
(2000), Psychologie du développement,
Traduit par Marie- Claude Désorcy, Modulo Éditeur, Mont-Royal (Québec), Canada.
Erikson, Erik H.
(1975), Life history and the historical
moment, Norton, New York.Moumouni, A. (1998), L’éducation en Afrique, Présence Africaine, Paris.
Waterman, Alan S. (1985), Identity in the context of adolescent psychology. In Alan S. Waterman (Ed.), Identity in adolescence: Processes and contents: Vol 30. New directions in child development, Jossey Bass, San Francisco.