Malgré son discours délibérément va-t-en guerre pour
galvaniser ses troupes, le colonel Kadhafi et son régime ont dû
plier sous le rouleau compresseur des attaques rebelles
mieux pensées et logistiquement soutenues. Cette issue militaire au conflit
était prévisible depuis des mois quand l’on considère les rapports de forces en
présence. D’un côté, les rebelles, l’OTAN et surtout la France qui tente de
redorer son blason de "grande puissance" et, en face, l’armée d’un
pays appuyée par des mercenaires qui se battent d’abord pour leurs poches. Il
fallait craindre les conséquences de l’enlisement de cette guerre pour le pays.
Une fois encore, l'issue du combat a respecté le scénario classique des leaders
africains qui, certes avec tous les défauts liés à l’exercice du pouvoir,
commettent en plus le "péché mortel" de ne pas se plier aux
injonctions de l’Occident ou de perdre, au fil du temps, son estime et sa
confiance.
Le scénario classique
Récemment, en Côte d’Ivoire, les blindés français,
après avoir bombardé sérieusement les positions de Laurent Gbagbo, ont pris les
devants jusqu’à quelques mètres de la présidence, avant de laisser le commando
des frères (rebelles) aller capturer leur frère (Gbagbo) sous les feux des
caméras du monde entier. La suite, on la connaît.
Dans la nuit du 20 septembre 1979, il a fallu, aux
parachutistes français, ayant reçu l’ordre de mettre fin aux dérives du régime
de l’empereur Jean-Bedel Bokassa, trouver un frère, David Dacko pour achever
leur mission, la fameuse opération « Barakouda. » En allant renverser
directement un régime, il fallait trouver un nouveau président. Ce fut fait.
Plus loin, pendant les quatre siècles du commerce
des esclaves, l’acheteur européen, restait tranquillement dans son navire à la
côte, et le frère africain allait« chasser », tout comme un gibier, son frère
pour l’amener enchainé à la côte. A Ouidah (Bénin), il y avait même un rituel
qui permettait à l’esclave de tout oublier. Il pouvait alors tranquillement
faire le voyage au pays de la douleur, de la perte de la dignité et parfois de
la mort violente.
Aujourd’hui, ce sont les avions de l’Otan qui
restent dans les airs pour bombarder (il faut pas prendre le risque d’une
opération terrestre) et les frères au sol, font le reste… Tout comme les
statues de Saddam Hussein, de Bokassa, les symboles du pouvoir de Kadhafi sont
aussi tombés, les uns après les autres.
La fameuse conférence des « amis »de la Libye.
Les cendres de cette chute sont encore fumantes
sinon que l’incendie continue puisque tout le pays n’est pas encore sous
contrôle, que les amis se sont déjà rassemblés le 1er septembre 2011
pour célébrer la victoire et surtout envisager l’avenir. Que suggère le lieu et
la date de ladite conférence ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu une conférence des
amis de la Côte d’Ivoire qui a traîné plusieurs années dans la crise ? Comment
expliquer la participation de la Russie et de la Chine à ladite conférence des
amis de la Lybie« libre » alors que ces deux pays se sont toujours opposés à
l’intervention occidentale dans les affaires internes d’un pays souverain ? Que
cachent les prochaines visites de certains chefs d’Etats européens accompagnés
de leurs hommes d’affaires à Tripoli (attendez pour voir qui sera le premier).
Le CNT ayant rejoint Tripoli, certaines ambassades occidentales l’y ont
rapidement suivi. (Il faut pas être loin du centre de décision). La
transparence démocratique aurait exigé qu’on publie le coût des opérations
militaires et surtout la gestion de sa facture. Mais de cela, il n'en serait
probablement pas question. A moins d’une illusion, des pays occidentaux qui
ploient sous le faix d’énormes dettes dues au déséquilibre budgétaire sur des
années, la crise financière qui perdure, la crise sociale qui l’accompagne, la
récession qui s’annonce avec les divers plans de rigueur, ne pourraient
dépenser autant de milliards par humanisme, par philanthropie ou amour de la
démocratie. La vraie réponse à toutes ces interrogations réside dans cette
phrase de Platon : « toutes les guerres
ont pour origine l’appropriation des richesses[1]. »Celle de la Libye n’échappera
pas à ce principe. Aux jeunes libyens de rester éveillés pour que le changement
survenu dans leur pays au prix de leur sang ne serve le bonheur de quelques uns
seulement.
Vers l’avenir...
Aux libyens, dit-on, manquait la liberté puisque
plusieurs sources s’accordent sur le niveau de bien-être social assez
appréciable. Aujourd’hui qu’ils retrouvent une « certaine » liberté, ne nous
faisons pas d’illusion, - le CNT aura du mal à s’affranchir de la tutelle des
"soutiens" d’hier, "conseillers" d’aujourd’hui,
"partenaires commerciaux" privilégiés de demain, - auront-ils encore
le même bien-être social ? Les années à venir nous en diront plus. Le CNT
pourra-t-il garder sa cohérence interne une fois disparue la menace de l’ennemi
commun ? La quantité énorme d’armes en circulation est-elle compatible avec la
sécurité et la stabilité d'un pays aussi vaste avec un grand espace désertique
difficile à contrôler ? Les élections prévues dans quelques mois auront quelle valeur dans un
pays qui n’a plus connu d’activités politiques libres depuis des décennies ?
elles serviront probablement à légitimer les autorités actuelles quelle que
soit la nature du scrutin. On se rappelle les élections en Irak et en
Afghanistan. On se rappelle aussi celles de certains pays de l’Afrique
subsaharienne engagés dans le processus démocratique. La fameuse rhétorique : « les élections se sont bien déroulées
malgré quelques irrégularités qui ne sont pas de nature à entacher la
crédibilité du scrutin » qui cache bien souvent des élections calamiteuses,
serait certainement utile.
Sur un autre
plan maintenant, que pouvait faire et que fera l’Union Africaine ? Concrètement
rien, sinon le silence, en attendant de bien capter le refrain entonné par les
Occidentaux, quitte à le reprendre en chœur par la suite. Les Etats africains
commenceront bientôt par reconnaître, l’un après l’autre, le CNT, au mépris
même des principes de l’Union sur la conquête du pouvoir. Pourrait-on espérer
mieux ?
Dernier élément qui fait réfléchir, de même que
dans l’Afrique subsaharienne, la politique et les réalités sociologiques de
tribus, d’ethnies sont intimement liées, de même dans le monde arabe, religion
et politique ne sont pas séparées. Cette situation pourrait générer des
surprises désagréables aux conséquences imprévisibles...
Somme toute, les libyens connaissent le tableau de
leur passé mais celui de leur avenir reste à déterminer, à construire dans la
vigilance surtout qu’ils n’en seront pas les seuls acteurs.
Eric Oloudé OKPEITCHA
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