mardi 6 septembre 2011

LIBYE, ELEMENTS DE REFLEXION...

Malgré son discours délibérément va-t-en guerre pour galvaniser ses troupes, le colonel Kadhafi et son régime ont plier sous le rouleau compresseur des attaques rebelles mieux pensées et logistiquement soutenues. Cette issue militaire au conflit était prévisible depuis des mois quand l’on considère les rapports de forces en présence. D’un côté, les rebelles, l’OTAN et surtout la France qui tente de redorer son blason de "grande puissance" et, en face, l’armée d’un pays appuyée par des mercenaires qui se battent d’abord pour leurs poches. Il fallait craindre les conséquences de l’enlisement de cette guerre pour le pays. Une fois encore, l'issue du combat a respecté le scénario classique des leaders africains qui, certes avec tous les défauts liés à l’exercice du pouvoir, commettent en plus le "péché mortel" de ne pas se plier aux injonctions de l’Occident ou de perdre, au fil du temps, son estime et sa confiance.
 

Le scénario classique
Récemment, en Côte d’Ivoire, les blindés français, après avoir bombardé sérieusement les positions de Laurent Gbagbo, ont pris les devants jusqu’à quelques mètres de la présidence, avant de laisser le commando des frères (rebelles) aller capturer leur frère (Gbagbo) sous les feux des caméras du monde entier. La suite, on la connaît.
Dans la nuit du 20 septembre 1979, il a fallu, aux parachutistes français, ayant reçu l’ordre de mettre fin aux dérives du régime de l’empereur Jean-Bedel Bokassa, trouver un frère, David Dacko pour achever leur mission, la fameuse opération « Barakouda. » En allant renverser directement un régime, il fallait trouver un nouveau président. Ce fut fait.
Plus loin, pendant les quatre siècles du commerce des esclaves, l’acheteur européen, restait tranquillement dans son navire à la côte, et le frère africain allait« chasser », tout comme un gibier, son frère pour l’amener enchainé à la côte. A Ouidah (Bénin), il y avait même un rituel qui permettait à l’esclave de tout oublier. Il pouvait alors tranquillement faire le voyage au pays de la douleur, de la perte de la dignité et parfois de la mort violente.
Aujourd’hui, ce sont les avions de l’Otan qui restent dans les airs pour bombarder (il faut pas prendre le risque d’une opération terrestre) et les frères au sol, font le reste… Tout comme les statues de Saddam Hussein, de Bokassa, les symboles du pouvoir de Kadhafi sont aussi tombés, les uns après les autres.



La fameuse conférence des « amis »de la Libye.
Les cendres de cette chute sont encore fumantes sinon que l’incendie continue puisque tout le pays n’est pas encore sous contrôle, que les amis se sont déjà rassemblés le 1er septembre 2011 pour célébrer la victoire et surtout envisager l’avenir. Que suggère le lieu et la date de ladite conférence ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu une conférence des amis de la Côte d’Ivoire qui a traîné plusieurs années dans la crise ? Comment expliquer la participation de la Russie et de la Chine à ladite conférence des amis de la Lybie« libre » alors que ces deux pays se sont toujours opposés à l’intervention occidentale dans les affaires internes d’un pays souverain ? Que cachent les prochaines visites de certains chefs d’Etats européens accompagnés de leurs hommes d’affaires à Tripoli (attendez pour voir qui sera le premier). Le CNT ayant rejoint Tripoli, certaines ambassades occidentales l’y ont rapidement suivi. (Il faut pas être loin du centre de décision). La transparence démocratique aurait exigé qu’on publie le coût des opérations militaires et surtout la gestion de sa facture. Mais de cela, il n'en serait probablement pas question. A moins d’une illusion, des pays occidentaux qui ploient sous le faix d’énormes dettes dues au déséquilibre budgétaire sur des années, la crise financière qui perdure, la crise sociale qui l’accompagne, la récession qui s’annonce avec les divers plans de rigueur, ne pourraient dépenser autant de milliards par humanisme, par philanthropie ou amour de la démocratie. La vraie réponse à toutes ces interrogations réside dans cette phrase de Platon : « toutes les guerres ont pour origine l’appropriation des richesses[1]. »Celle de la Libye n’échappera pas à ce principe. Aux jeunes libyens de rester éveillés pour que le changement survenu dans leur pays au prix de leur sang ne serve le bonheur de quelques uns seulement.



Vers l’avenir...
Aux libyens, dit-on, manquait la liberté puisque plusieurs sources s’accordent sur le niveau de bien-être social assez appréciable. Aujourd’hui qu’ils retrouvent une « certaine » liberté, ne nous faisons pas d’illusion, - le CNT aura du mal à s’affranchir de la tutelle des "soutiens" d’hier, "conseillers" d’aujourd’hui, "partenaires commerciaux" privilégiés de demain, - auront-ils encore le même bien-être social ? Les années à venir nous en diront plus. Le CNT pourra-t-il garder sa cohérence interne une fois disparue la menace de l’ennemi commun ? La quantité énorme d’armes en circulation est-elle compatible avec la sécurité et la stabilité d'un pays aussi vaste avec un grand espace désertique difficile à contrôler ? Les élections prévues dans quelques mois auront quelle valeur dans un pays qui n’a plus connu d’activités politiques libres depuis des décennies ? elles serviront probablement à légitimer les autorités actuelles quelle que soit la nature du scrutin. On se rappelle les élections en Irak et en Afghanistan. On se rappelle aussi celles de certains pays de l’Afrique subsaharienne engagés dans le processus démocratique. La fameuse rhétorique : « les élections se sont bien déroulées malgré quelques irrégularités qui ne sont pas de nature à entacher la crédibilité du scrutin » qui cache bien souvent des élections calamiteuses, serait certainement utile.
Sur un autre plan maintenant, que pouvait faire et que fera l’Union Africaine ? Concrètement rien, sinon le silence, en attendant de bien capter le refrain entonné par les Occidentaux, quitte à le reprendre en chœur par la suite. Les Etats africains commenceront bientôt par reconnaître, l’un après l’autre, le CNT, au mépris même des principes de l’Union sur la conquête du pouvoir. Pourrait-on espérer mieux ?
Dernier élément qui fait réfléchir, de même que dans l’Afrique subsaharienne, la politique et les réalités sociologiques de tribus, d’ethnies sont intimement liées, de même dans le monde arabe, religion et politique ne sont pas séparées. Cette situation pourrait générer des surprises désagréables aux conséquences imprévisibles...
Somme toute, les libyens connaissent le tableau de leur passé mais celui de leur avenir reste à déterminer, à construire dans la vigilance surtout qu’ils n’en seront pas les seuls acteurs.


                                             Eric Oloudé OKPEITCHA









 Platon, Phédon, 66c7.

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