lundi 12 mars 2012

"L' AME AFRICAINE ETAIT EPRISE DE RELIGION "

ENTRETIEN AVEC LA BIENHEUREUSE  ANNE-MARIE JAVOUHEY 

            Les femmes  ont été  à l’honneur la semaine dernière dans le cadre de la journée mondiale du 8 mars. Nous en avons profité pour échanger avec l'une d'elles,  Anne-Marie JAVOUHEY qui a bien  voulu témoigner  de  sa vie de femme et de  fille du Père, désireuse de faire uniquement et partout sa Sainte Volonté.  Elle a passé quelques années de sa vie à Dagana, petite ville située au bord du fleuve Sénégal près de la frontière mauritanienne, il y a 190 ans.  Fondatrice  de la Congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui fêtera ses 205 ans le 12 mai prochain, elle a été  béatifiée à Rome le 15 octobre 1950. Elle nous parle de sa vocation survenue à l'âge de 17ans, de ses oeuvres dans cette région du Sénégal.
S. T : Anne-Marie JAVOUHEY, bonjour.

Anne-Marie JAVOUHEY : Bonjour Sandra et à tous les amis lecteurs.

S. T : Alors Anne-Marie, entrons dans le vif du sujet,  comment le Seigneur vous a-t-il  fait connaître votre mission si particulière ?

Anne-Marie JAVOUHEY : Lorsque je me suis sentie appelée par le Seigneur, j’ai compris que sa volonté était que je choisisse la vie religieuse pour instruire les pauvres et élever les orphelins. J’ai tout de suite eu, d’une part une vie de prière intense en compagnie de mes trois sœurs dans l’oratoire que notre père nous avait construit. D’autre part, je parcourais les rue de Chamblanc, notre village, en invitant, tambour battant, les enfants, filles ou garçons, à venir appendre à lire.

Quelle a été la réaction de votre père ? 
Au début, cela le mettait en colère car il préférait me voir travailler les champs plutôt que de faire la classe à des enfants pauvres. D’autant plus que j’entraînais mes trois sœurs dans cette aventure. Mais, je m’étais donnée à Dieu sans partage. Je devais donc faire sa volonté en toutes choses, sans tenir compte de mes inclinations. Les refus de mon cher père ne découragèrent pas[1]. Il aurait fallu m’arracher le cœur pour m’ôter le désir de la vie religieuse. Tous mes désirs étaient d’accomplir la  volonté de mon père, mais il avait trop de religion pour vouloir que ce soit au préjudice de celle de Dieu. Dieu m’avait fait la grâce de renoncer au monde et j’étais prête à souffrir plutôt tous les tourments que la malice du monde aurait pu inventer que d’y rentrer jamais[2].

Et par la grâce de Dieu, votre curé a fini par convaincre ce cher Balthazar qui avait tant d’amour pour vous.
Tout à fait. Avec son accord, à l’âge de 21 ans, je suis partie à Besançon pour rejoindre une petite communauté. Au début, je me sentais au Paradis, puis ce fut le grand doute. Je ne me sentais pas à ma place. J’étais envahie par l’angoisse, je n’y voyais plus rien et je suppliais le Seigneur de me dire ce qu’Il voulait de moi. J’étais prête à tout pour Lui.

Et comment vous a-t-Il répondu ?
Quelques jours plus tard, à mon réveil, je crus voir autour de moi beaucoup de noirs et il me sembla entendre la  voix de Sainte Thérèse d’Avila qui me disait : « Ce sont les enfants que Dieu te donne. Je protégerai la communauté que tu vas fonder ».

Mais chose paradoxale, à l’époque, vous n’aviez jamais vu  encore d'africains.
Non. Et, je n’en avais même jamais entendu parler.

Qu’avez-vous fait ensuite ?
J’ai quitté la communauté de Besançon. Quelques temps après, à l’âge de 23 ans, je suis entrée dans un monastère de trappistines en Suisse. J’y ai effectué le noviciat, mais je ne pouvais m’empêcher de penser aux africains et, là non plus, je ne me sentais pas à ma place. Sur les conseils de mon directeur spirituel, j’ai quitté le monastère pour que le projet de Dieu s’accomplisse dans ma vie.

Forte de vos expériences de vie religieuse, vous avez continué à marcher sur la route de la  Sainteté que le Seigneur avait tracée pour vous. Vous avez fondé, avec vos sœurs et vos compagnes la communauté des « filles de Saint-Joseph » qui est ensuite devenue la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Et vous vous êtes efforcée d’accomplir votre mission auprès des  pauvres et des orphelins en France en attendant sagement que le Seigneur décide de vous envoyer, enfin, annoncer l’Evangile aux extrémités de la Terre. Et un jour ce fut l’éclosion d’une rose à mille pétales ! Les autorités  françaises ont vu en vous un atout qui leur aurait permis de réorganiser la présence française dans les colonies.
Effectivement, je compris qu’enfin, mon vieux rêve s’accomplissait. Certes, la démarche des autorités françaises était toute politique, mais je savais que notre congrégation se consacrerait au bien physique et spirituel des populations. Je voulais leur annoncer l’Evangile.

Et vous vouliez tellement le faire que 5 ans après les premières missions de la Congrégation, vous n’avez pas pu résister. Vous avez embarqué en cachette avec les religieuses qui partaient pour le Sénégal.
C’est exact ! C’était le 1er février 1822. Avec la Restauration, la France avait récupéré cette possession africaine, peu développée et en état d’abandon. En janvier 1819, j’avais envoyé une communauté de 7 religieuses dont j’avais confié la responsabilité à ma sœur Claudine (Mère Rosalie). L’installation fut très dure. Il s’agissait de faire fonctionner un hôpital qu’elles ont trouvé dans un état lamentable et qui plus est, dans une zone où il n’y avait plus de prêtre. Les sœurs se sentaient spirituellement abandonnées. Cette nouvelle fut pour moi une grande douleur et je pris la décision de venir juger sur place les initiatives à prendre. Mère Rosalie est donc rentrée en France et je l’ai remplacée.

Et vous n’aviez pas peur d’un si long voyage en bateau qui a duré des mois ?
Les dangers de la mer ne nous effrayaient point. L’espoir de faire le bien, de gagner quelques âmes à la religion, de soulager les pauvres malades, soutenait notre courage au milieu des plus grands périls.

Quelle a été votre impression en arrivant dans ce pays ?
Je fus éblouie !!! Je remerciais le bon Dieu de nous avoir conduites en Afrique. Nous pouvions y faire du bien, et beaucoup, tant pour l’instruction de la jeunesse que pour le soin des malades.  J’éprouvais un besoin extrême de travailler au bonheur des africains. Jusque là, on avait pris si peu de moyens pour atteindre ce noble but. Je voulais faire avec tant de choses[3] !!! Nous avons commencé par réorganiser les hôpitaux, le gouvernement nous a aidées et nous avons même pu faire venir un prêtre.

Justement,  le gouvernement avait grand espoir en votre œuvre. Il vous a même confié un domaine agricole, ici à Dagana, en vous demandant d’en faire un paradis !
Etant d’une famille de paysans, j’ai tout de suite pensé que l’Afrique possédait une vocation agricole. Dès l’année 1823, ici a Dagana, nous nous sommes donc attachées à développer aussi bien l’étude des langues et de  l’arithmétique que l’acquisition de connaissances permettant de mettre le pays en valeur. Nous avons cherché à mettre en valeur les terres par des cultures diverses et l’élevage.
Mais dites-nous Anne-Marie,  vous n’avez vécu que deux ans et demi en Afrique et malgré tout le travail que vous aviez au  Sénégal, vous avez trouvé le temps d’aller porter assistance à d’autres peuples. Ainsi, vous vous êtes rendue en Gambie où vous avez réorganisé un hôpital. Vous y avez dû lutter contre le racisme, la misère et les préjugés. Et vous avez même été appelée par le gouvernement anglais pour réhabiliter un hôpital en Sierra-Léone.

En effet, cet hôpital avait vraiment besoin d’être réorganisé. J’ai trouvé là de malheureux français dans le plus triste état ; ils étaient parmi les malades de toutes les nations. Ils me regardaient comme un ange qui leur avait sauvé la vie[4].

Et ange, vous l’étiez !!! Anne-Marie, parlons maintenant d’un autre ange. Durant ce séjour, vous avez pu découvrir ce peuple et vous l’avez surtout aimé. Vous avez aimé particulièrement Florence votre jeune esclave qui était plutôt une fille pour vous. C’est même elle qui vous a soignée lorsque vous-même êtes tombée malade. Racontez-nous.

C’était une esclave peulhe née en Sénégambie. Elle avait servi quelques années dans la famille du commissaire français de la marine. Mère Rosalie l’avait achetée et me l’avait confiée. Elle avait une si jolie frimousse ! Etre esclave était vraiment la pire des misères.  Je lui ai promis qu’avec moi elle ne serait jamais malheureuse. Je voulais lui apprendre à lire et faire d’elle une personne libre et responsable. Elle m’a beaucoup aidé dans ma mission, notamment pour la réorganisation de l’hôpital de Sierra-Léone. Et elle m’a même sauvée la vie en me soignant par la méthode traditionnelle. Lorsque je suis rentrée en France, je l’ai emmenée avec moi pour prouver aux français que les africains étaient des personnes de valeur. Dans les ministères où nous nous sommes rendues, on a constaté que Florence, sortie depuis de ans seulement de l’esclavage, était une enfant accomplie qui pouvait en remontrer à bien des blancs ! Elle avait des dons intellectuels et artistiques évidents.

Revenons au Sénégal. Vous vouliez évangéliser ce peuple, mais vous n’avez pas tenté d’imposer la religion.
J’étais persuadée que l’âme africaine était éprise de religion et je voulais évangéliser le Sénégal. En devenant chrétien, ce pays aurait découvert les vertus morales qui lui auraient permis de prendre en charge son destin. Mais, je ne voulais pas que ce peuple se convertisse par convenance. D’ailleurs, quand certains d’entre eux ont demandé le baptême, et même Florence, j’ai voulu attendre que leur foi soit réellement fondée pour les accompagner dans cette démarche. J’ai même pensé faire venir mon frère Pierre et sa femme, pour montrer aux noirs ce qu’était un foyer croyant et nous aurions formé une vraie communauté chrétienne.

Et comment avez-vous procédé ensuite ?
Le 31 octobre 1824, à peine rentrée de mon séjour sur ce beau continent, je fis part au Gouvernement de ma résolution à consacrer mon existence au soin d’un peuple abusé et malheureux. Ce qui aurait dû lui faire du bien, la science et l’instruction, lui avait fait le plus grand mal en le corrompant par des vices plus dangereux que sa profonde ignorance. Il n’appartenait qu’à la religion de donner à ce peuple des principes, des connaissances solides et sans danger, parce que ses lois, ses dogmes réforment non seulement les vices grossiers et extérieurs, mais changent le cœur et détruisent le mal dans sa racine[5].

L’Afrique avait besoin de missionnaires intrépides et il fallait former des prêtres indigènes.

Vous n’avez pas perdu de temps. Vous avez fondé le premier séminaire africain en France.

En effet, il fallait former de jeunes africains à devenir chrétiens et même prêtres et religieuses. Les professeurs n’étant pas disposés à se rendre en Afrique, nous avons pris la décision de faire venir ces jeunes en France malgré les craintes du gouverneur quant à un éventuel refus de rentrer chez eux après leur formation. Dès 1825, nous avons fait venir à Bailleul 18 garçons et 13 filles.

Notre petit séminaire faisait le bonheur et l’admiration de tous les sages, en même temps que l’orgueil de leur pays. Nous tâchions de leur inspirer le zèle de faire connaître la vraie religion à leurs compatriotes[6] !

Et vous y êtes arrivées !!!

Oui !!! 15 ans plus tard, nous avons eu la joie de célébrer l’ordination sacerdotale de 3 d’entre eux. Ce furent les premiers prêtres sénégalais !!!

Anne-Marie, notre entretien touche à sa fin. Vous avez donné au Sénégal ses premiers prêtres et aujourd’hui nous constatons que les prêtres d’Afrique sont les nouveaux évangélisateurs de l’Europe. Ce sont les missionnaires de notre temps. Quel est votre espérance pour le monde?

A vrai dire, je crois que ma mission n’est pas terminée. J’ai passé ma vie sur terre à soulager et à rendre libres des esclaves. Et encore aujourd’hui, dans le Ciel, j’intercède auprès du Seigneur pour que les esclaves de ce temps soient libérés et connaissent la véritable liberté qui n’est rien d’autre que de faire la Sainte Volonté de Dieu.

Et bien Anne-Marie, c’est sur ces mots pleins d’amour que nous nous quittons. Et c’est avec joie que nous vous retrouverons bientôt pour mieux découvrir le secret de votre de sainteté. Nous offrons aujourd’hui à nos blogueurs la prière demandant votre canonisation en espérant vous appeler très vite Sainte Anne-Marie JAVOUHEY. Merci et à bientôt.

Merci à vous Sandra et merci à tous les lecteurs.


Prière pour demander la canonisation de la Bienheureuse Anne-Marie JAVOUHEY :

Seigneur, notre Dieu,

Tu as donné à la Bienheureuse Anne-Marie de se consacrer en tout à faire Ta Sainte Volonté, et de se tenir attentive à Tes appels en la personne des plus pauvres de ses frères.

Fais que, dans l’Eglise de notre temps, nous poursuivions avec élan l’œuvre que Tu lui as confiée.

A son intercession, exauce les prières que nous t’adressons : (intention de prière)

Dans Ta bonté, accorde-nous la grâce de sa canonisation pour Ta gloire et la venue de Ton Règne d’amour, de justice et de paix.

AMEN

(Imprimatur : Archevêché de Paris, 26 septembre 1988)


Sources :

Les ouvrages cités ci-dessous ont été fournis par la communauté des Sœurs de Saint Joseph de Cluny de Rome.

-          Découvrir Anne-Marie JAVOUHEY et les Sœurs de Saint Joseph de Cluny.

-          Une grande missionnaire Anne-Marie JAVOUHEY.

-          Anne-Marie JAVOUHEY et le journal d’une femme, apôtre des terres lointaines.

Site internet de la Congrégation des Sœurs de Saint Joseph de Cluny : sjosephcluny-France.cef.fr   

Pour en savoir plus sur Anne-Marie JAVOUHEY :

-          Correspondances d’Anne-Marie JAVOUHEY (4 volumes) – Editions du Cerf.

-          Anne-Marie JAVOUHEY – Agnès RICHOMME – Editions Fleurus coll. Belles histoires, belles vies.








[1] Lettre N°1


[2] Lettre N°2


[3] Lettre N°46


[4] Lettre N°63


[5] Lettre N°75


[6] Lettre N°101

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