mercredi 27 avril 2011

Côte d’Ivoire, vers une « justice des vainqueurs » ?

« Les nouvelles autorités ivoiriennes annoncent l’ouverture des enquêtes préliminaires sur les massacres et autres crimes commis par le camp Gbagbo. Mais, il faut absolument redouter une « justice des vainqueurs » unilatérale, sommaire et émotive. C’est un fait, le démon mal exorcisé revient plus fort. »


Dans un pays qui se remet difficilement de son cauchemar, les nouvelles autorités ivoiriennes annoncent l’ouverture des enquêtes préliminaires sur les massacres et autres crimes commis par le camp Gbagbo en vue d’éventuels procès. Cette démarche, somme toute normale, pourrait se comprendre dans la mesure où l’on ne saurait laisser ou confier aussi facilement à la poubelle de l’histoire, la mort tragique de milliers de personnes prises au piège par le rouleau compresseur de la passion et de la violence, sans compter les victimes indirectes (personnes âgées ou malades restées sans soins, faute de pouvoir se déplacer). Mais, il faut absolument redouter une justice des « vainqueurs » comme l’histoire contemporaine en regorge aux lendemains des grands conflits.


Qu’il nous souvienne, aux lendemains de la première guerre mondiale, l’Allemagne est jugée seule responsable. Sous la forte influence de Clémenceau et de Wilson, le Traité de Versailles impose à l’Allemagne de perdre 1/7 de son territoire, 10% de sa population avec des clauses financières et militaires énormes. Quelques années plus tard, Hitler avait beau jeu de remettre en cause cet état des choses. La suite, on la connait avec les atrocités épouvantables de la seconde guerre mondiale. Encore une fois, des vainqueurs et une vaincue, l’Allemagne nazie. Le 1er octobre 1946, c’est le verdict du tribunal des vainqueurs à Nuremberg ; sont accusés plusieurs dignitaires du IIIème Reich, Martin Bormann, Hans Franck, Wilhelm Frick et compagnons. De toute évidence, les vainqueurs ont jugé les vaincus. Mais certains vainqueurs auraient pu être sur le banc des accusés pour les mêmes crimes. Qui a pu pointer du doigt les déportations massives, les exécutions sommaires systématiques de soldats et de civils, les viols et autres pillages des populations libérées observées dans le camp des vainqueurs ? De cela, l’histoire ne parlera pas jusqu’au jour où la vérité revendiquera son droit de cité. A ce propos, le livre La justice des vainqueurs : de Nuremberg à Bagdad, (2009) de Zolo Danilo est très éclairant. L’auteur y montre, entre autres, la double vitesse du droit international contemporain malgré une apparente impartialité, la justice sur mesure avec impunité absolue garantie pour les atrocités commises par les puissances occidentales dans toutes les guerres menées sous les prétextes bien fallacieux de « protection de populations civiles » ou de « lutte contre le terrorisme » avec la bénédiction des institutions internationales, noble farce et innocente face des vainqueurs du second conflit mondial.


Pour revenir au cas de la Côte d’Ivoire, il faut souhaiter tout simplement que la Justice soit rendue. Cela passe par l’établissement de la vérité des faits depuis les débuts de la rébellion jusqu’aux événements qui ont trouvé leur dénouement le 11 avril 2011. Que les atrocités du camp Gbagbo comme celles de ses opposants, aujourd’hui vainqueurs soient mises en lumière et traités équitablement. En accompagnant la Côte d’Ivoire sur ce chemin très difficile, l’Union africaine et surtout la communauté internationale auraient fait un saut qualitatif et auraient œuvré pour une vraie paix. Le contexte africain, marqué par le poids des entités sociologiques à savoir ethnies, tribus et clans requiert une telle délicatesse pour cicatriser les blessures, guérir la mémoire collective et conjurer les vieux démons de la violence. Tout autre procédé, à savoir une justice unilatérale, sommaire et émotive ne ferait que dresser le lit à de nouveaux conflits dans l’avenir. C’est un fait, le démon mal exorcisé revient plus fort.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire